Peinture verticale

En choisissant la peinture verticale, comme l’avaient enseignée les Chinois, j’ai perçu le monde autrement à travers l’écoulement de l’encre. Au fond, j’ai trouvé la possibilité d’une interprétation plus concrète et, en même temps, plus harmonieuse, plus harmonique du réel sans prendre appui sur la figuration. Plus encore, cette peinture à la verticale place l’Homme et son pinceau dans une écoute aiguë, plus sensible des forces présidant à l’harmonie de l’univers, comme la force de gravité par exemple. En effet, par la gravité l’encre tombe de mon pinceau et continue à tomber durant le temps de séchage. Cela crée de magnifiques et d’étonnantes structures fractales au coeur d’un relief cristallisé de matière picturale.
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Je prends en effet grand plaisir à être à l’écoute, explorer et jouer avec ces forces animant le cosmos. Elles me fascinent. (…)
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Effectivement, la peinture n’existe que par la rencontre de la lumière et d’un corps matériel. Plus précisément, la fréquence des ondes lumineuses résultant de l’interaction de la lumière avec les atomes qui constituent les concrétions de pigments de peinture révèle la présence du tableau au monde. Expérience tellement concrète bien que paraissant invisible, insoupçonnée. Il faut savoir écouter cette mise en lumière.
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En demeurant longtemps devant un tableau qui naturellement, paraît immobile, l’on ressent, sans pouvoir l’expliquer, physiquement, charnellement, le mouvement de l’oeuvre dans l’espace ; comme si la peinture permettrait de révéler, pour un instant, le mouvement perpétuel de l’univers ; comme si le tableau recélait, libérait tout un monde de vibrations, de chants, comme si le tableau ne cessait de recréer notre habitation au coeur de l’univers.
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En effet, j’ai pu explorer, à cette occasion, la capacité qu’a la matière picturale de nous renvoyer, nous redonner, par les variations chromatiques des glacis, cette profonde spiritualité, c’est-à-dire cet instant où, de la matière-peinture, émane une part d’immatérialité, notre besoin de spiritualité. C’est ce qui m’a frappée chez les maîtres flamands : l’aspect cosmogonique de leur peinture. Puisque celle-ci ne semble vibrer que grâce à l’action de la lumière céleste.
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Je me suis effectivement lancée dans une aventure visant à rendre, en insistant encore davantage, l’aspect mélodique du réel, et ce en sept tableaux à travers lesquels une énergie blanche circulerait, de châssis en châssis, sur le fond « nuit » d’un noir bleuté.
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Il y a quelque temps, Trinh Xuan Thuan m’a expliqué que si le trajet de la lumière blanche du soleil n’était jamais modifié par son interaction avec un corps, alors nous verrions tout en blanc. (…) Depuis, je n’ai eu de cesse de réfléchir à une oeuvre qui irait vers une épure de la couleur, comme retournant vers la pureté de sa source ; retrouver la lumière d’avant le choc avec les particules de poussières, c’est-à-dire avant la création des couleurs que l’on perçoit.
(…) je finis par penser que le peintre n’est pas si important que cela. Il n’est là que pour recevoir et transmettre cette permanence, au fond si simple, mais hélas si souvent négligée, qui consiste dans le fait que tout chante et tout vibre, en nous comme autour de nous. La peinture restera toujours, dans sa simplicité, ce révélateur concret de la sensibilité humaine, comme un capteur inestimable des transformations incessantes du réel dans la saisie de cet instant magique : le trait. On ne peut que s’émerveiller des relations qui se tissent, à travers lui, entre les lois physiques véhiculant la matière picturale et celles observables dans l’univers, gigantesque et éternelle variation témoignant de la possibilité, pour chacun de nous, de se libérer par cette infinie mélodie.
Fabienne Verdier
Extrait de : Face à l’univers, Trinh Xuan Thuan