Il doit être en samadhi !

Expérience d’union avec l’existence
Auparavant, mon réveil matinal mobilisait les efforts conjugués de toute la famille : à peine m’avait-on éveillé que je tombais à la renverse et replongeais aussitôt dans un profond sommeil. (…) Mais trois mois après avoir débuté le yoga, mon corps a commencé à se réveiller à trois heures quarante chaque matin, sans la moindre sollicitation extérieure, comme il le fait encore aujourd’hui. Dès mon réveil, mes pratiques se faisaient d’elles-mêmes, quels que soient le lieu ou le contexte, sans un seul jour de relâche. Ce yoga corporel très simplement dénommé angamardana, qui renforce les tendons et les membres, m’a à coup sûr sortir du lot, physiquement et mentalement, dans tous les groupes de gens que j’ai fréquenté. Mais rien de plus. Enfin, c’est ce que je croyais.
(…) je n’ai jamais cherché quoi que ce soit dans ma vie. Je me contente de regarder, sans plus. Et c’est ce que je tente d’enseigner aux autres aujourd’hui : si vous voulez vraiment connaître la spiritualité, commencez par ne rien chercher. Les gens pensent que la spiritualité, c’est la recherche de Dieu, de la vérité, de la réalité ultime. Le problème, c’est que vous avez déjà défini ce que vous cherchez. L’important n’est pas l’objet de cette quête, c’est la faculté de voir. Ce qui fait défaut dans le monde actuel, c’est la capacité à simplement regarder, sans intention. Les humains sont des créatures psychologiques qui tiennent à attribuer du sens à chaque chose. Être en quête, ce n’est pas chercher quelque chose. Cela consiste à affiner votre perception, votre faculté même de voir.
(…)
Avant même d’avoir commencé à prendre la mesure de ce qui m’était arrivé, l’expérience s’est répétée. C’était une semaine plus tard. J’étais assis à table avec les membres de ma famille. Ce nouvel épisode m’a semblé durer deux minutes, mais en réalité, il avait duré sept heures. J’étais juste assis là, complètement conscient, sauf que le « moi » que je pensais être ma personne n’était plus là ; tout le reste était là. Et le temps a basculé.
(…) Il était presque quatre et quart du matin lorsque je suis revenu à mon état « normal ».
(…)
Cette expérience s’est ensuite répétée à intervalles réguliers. Lorsqu’elle se produisait, je cessais de manger ou de dormir pendant plusieurs heures. Je restais simplement assis sans bouger quelque part. Une fois, l’expérience s’est prolongée pendant treize jours. Je me trouvais dans un village quand ça a commencé – je suis à nouveau entré dans cet état irrésistible et indescriptible d’immobilité et d’extase.
Les villageois se sont rassemblés autour de moi et murmuraient entre eux : « Il doit être en samadhi ! » (Un état de félicité que l’on atteint lorsqu’on est au-delà du corps, qui est bien documenté dans les traditions spirituelles indiennes.) (…)
Une autre fois, alors que j’étais en train de déjeuner, j’ai introduit un morceau de nourriture dans ma bouche, et soudain, ça a explosé. À ce moment-là, j’ai pu faire l’expérience de ce qu’était la miraculeuse alchimie de la digestion humaine, ce processus par lequel une substance extérieure, un morceau de la planète, devenait une partie de moi. (…) lorsque j’ai fait l’expérience de ce processus, la découverte que j’ai faite a profondément modifié mon regard que j’ai porté sur moi-même. Ma relation avec tout ce qui m’entourait, à commencer par la planète, a subi un changement de dimension.
Je suis devenu conscient de la présence en chacun de nous d’une intelligence extraordinaire capable de transformer un morceau de pain ou une pomme en un corps humain en un seul après-midi. Ce n’est pas un mince exploit ! À mesure que que je commençais à consciemment toucher cette intelligence, qui est la source de la création, des événements apparemment inexplicables ont commencé à survenir autour de moi. Des choses que je touchais étaient transformées d’une manière ou d’une autre. Des gens me regardaient et éclataient en sanglots. Souvent, ils se disaient guéris d’une souffrance physique ou mentale du simple fait de m’avoir regardé. Je me retrouvais moi-même guéri en quelques heures de maux qui auraient mis des mois à s’améliorer en passant par un traitement médical classique. (…)
Cette aptitude à transformer ma réalité extérieure et intérieure de façon spectaculaire a perduré jusqu’à ce jour. Ce n’est pas quelque chose que j’ai consciemment essayé d’obtenir. C’est simplement qu’une fois que l’on entre en contact avec cette dimension plus profonde de son intelligence, qui est la base même de notre existence ici, la vie devient tout naturellement miraculeuse.
En l’espace de huit à dix semaines, cette incroyable expérience est devenue une réalité vivante. Dans ce laps de temps, tout en moi a changé de façon spectaculaire. Mon apparence physique – la forme de mes yeux, ma démarche, ma voix, l’alignement même de mon corps -, tout cela s’est modifié de façon si drastique (…).
Ce qui se passait à l’intérieur de moi était encore plus phénoménal. En six semaines, j’ai été submergé par un énorme flot de souvenirs, littéralement des vies entières de souvenirs. J’étais maintenant conscient d’un million de choses différentes qui se produisaient simultanément en moi en un instant. (…) Mon esprit logique me disait que rien de tout cela ne pouvait être vrai. Ce que je percevais à l’intérieur de moi était plus clair que la lumière du jour, mais j’espérais secrètement que c’était faux. Je m’étais toujours considéré comme un jeune homme intelligent. Soudain j’avais l’air d’être un pauvre garçon égaré, et je ne pouvais pas accepter cet état de confusion. Mais j’ai découvert avec chagrin que tout ce que me disait ma mémoire était vrai.
Jusqu’alors, j’avais complètement refusé d’accepter quoi que ce soit dans ma vie qui n’entrait pas dans un cadre rationnel et logique. Lentement, je commençai à réaliser que c’est la vie qui est l’intelligence ultime. L’intellect humain n’est qu’un dispositif astucieux qui assure la survie. Mais la véritable intelligence n’est que la vie et juste la vie – et ce qui est la source de la vie. Rien d’autre.
On a dit au monde entier que le divin est amour, que le divin est compassion. Mais si vous prêtez attention à la création, vous réalisez que le divin, ou ce qui se trouve à la source de la création, est d’abord et avant tout la plus haute intelligence que l’on puisse imaginer. Au lieu d’essayer de puiser en cette intelligence toute-puissante qui bat au fond de nous, nous choisissons de recourir à notre intellect qui est utile dans certaines situations, mais demeure essentiellement limité.
J’ai aussi commencé à faire l’expérience d’une sensibilité accrue aux sentiments d’autrui. Parfois, le simple fait d’apercevoir dans la rue un inconnu à l’expression attristée suffisait à me faire pleurer. J’étais choqué de voir les états de misère que les êtres humains étaient capables de supporter, alors que j’étais moi-même dans un état explosif d’extase sans aucune raison.
Il m’a fallu un peu de temps pour comprendre que ce qui m’arrivait était quelque chose de « spirituel ». J’ai commencé à comprendre que ce que les traditions et les écritures sacrées avaient célébré et décrit comme l’expérience ultime était en train de m’arriver ; que j’étais en fait en train de faire l’expérience de la plus belle chose qui puisse arriver à un être humain.
Instant après instant, chaque cellule de mon corps explosait dans des extases sans noms. (…) C’est à la portée de tout être humain, parce que tout ce dont nous pouvons faire l’expérience se produit à l’intérieur de nous.
J’ai commencé à réaliser que la transformation physique de mon apparence était en fait un réalignement de ma constitution intérieure tout entière. Je pratiquais une série de postures physiques, ou Hatha yoga, depuis l’âge de douze ans. Ces treize années de yoga ont porté leurs fruits à ce moment-là. Le yoga est essentiellement une façon de recréer le corps pour qu’il serve une fin supérieur. Le corps humain peut fonctionner comme un amas de chair et de sang ou comme la source même de la création.
Il y a une technologie pour transformer l’humain en divin. La colonne vertébrale humaine ne se réduit pas à un empilement de vertèbres ; elle est l’axe même de l’univers. Cela dépend simplement de la façon dont vous réorganisez votre système. Moi qui étais quelqu’un d’assez intense au niveau physique, j’ai appris à porter mon corps comme s’il n’était pas du tout là. Il n’y a plus de tension dans ma physicalité. Auparavant, toute cette intensité était dans mon corps. Les gens pouvaient sentir que si j’entrais dans une pièce, ça voulait dire qu’il y aurait de l’action. Mais à ce moment-là, j’ai appris à porter mon corps autrement.
C’est alors que j’ai compris que cette expérience que j’avais vécue, c’était réellement cela yoga. Cette expérience d’union avec l’existence, ce sentiment d’unité avec toute la vie, ce sentiment d’infini, c’était le yoga. Je croyais que les enchaînements simples de postures yogiques, ou asanas, que j’avais pratiqué quotidiennement servaient juste à rester en bonne forme physique. Après cette expérience sur la colline de Chamundi, j’ai réalisé que ma pratique était en fait un processus capable de me faire accéder à une dimension qui transcendait largement le corps. C’est pourquoi je dis aux gens : même si vous faites du yoga pour de mauvaises raisons, ça marche quand même !
Il y a quelque chose chez tout être humain qui n’aime pas les limites, quelque chose qui aspire à devenir infini. La nature humaine est ainsi faite que nous aspirons sans cesse à être plus que ce que nous sommes à cet instant. Peu importe ce que nous avons accompli, vous voulons encore être quelque chose de plus. Si l’on regardait cela d’un peu plus près, on verrait que cette aspiration n’est pas une aspiration à plus ; c’est une aspiration à tout. Nous cherchons tous à devenir infinis. (…)
Quand j’ai réalisé que le désir humain ne visait pas une chose en particulier, mais simplement une expansion illimitée, une certaine clarté a surgi en moi. (…)
Cet état de bien-être extatique qui est le mien depuis cet après-midi sur la colline de Chamundi, n’est ni une possibilité lointaine ni une chimère. C’est une réalité vivante pour tous ceux qui en ont la volonté. C’est le droit de naissance de chaque être humain.
La Transformation intérieure, Un grand maître yogi nous enseigne l’art de la joie
Sadhguru